Joanna Newsom joue de la harpe (avec beaucoup de dextérité et d'application). Simultanément, elle chante (avec une voix d'enfant, quelque part entre bjork, un chat et une petite trisomique). Elle est issue d'une famille ultra bourgeoise de san francisco, improvise des disques bruyants avec des membres d'hella et deerhoof, mais sa vraie passion, c'est la folk grâcieuse et délicate.
Pour moi, elle symbolise également l' Echec. Un Echec total, tenace, maladif.
En effet, je n'ai TOUJOURS PAS réussi à la convaincre de venir jouer à Grnd Zero, ce qui, au vu des efforts déployés, est un véritable scandale (383 mails, lettre écrite sur papier de lin donnée en mains propres par un agent spécial, pressions sur sa famille proche...).
Joanna Newsom a surtout enregistré un album à retourner le coeur du plus aigri des hommes, The milk eyed mender. Douze chansons parfaites, qu'on a dû écouter environ huit cent fois, dans les circonstances les plus diverses (remplis de drogues, en train de monter du matériel en tournée, blottis autour d'un radiateur asthmatique sensé contrer un hiver glacial...). Même les forces souvent fatales de la répétition massive n'ont pu affaiblir l' intensité de quelques morceaux.
Comme par exemple
ou alors
Dans ces cas là, on peut allumer une cigarette, adopter un regard pénétrant et parler de « classique », ou de « disque important ». Quelque chose de plutôt rare, très accessible, qui ne ressemble à rien. Enfin si, un peu quand même à Melanie Safka et Malvina Reynolds, des chanteuses des années 60, mais il faut un degré élevé de mesquinerie pour faire ce genre de remarque.
Après tant d'émotions, on se demandait vers quoi elle allait se diriger :
-Ecrire éternellement le même morceau ? (méthode qui rapporte parfois des bons résultats, Will Oldham par exemple)
-Opérer une mutation profonde ?
-Comment faire aussi bien ?
-Est ce que ça allait être très mauvais ?
Et puis, il y a un peu plus d’un an, on a fini par écouter Ys (prononcer izzz), deuxième album du petit chat bjorkien mongoloïde. Cinq morceaux oscillant entre huit et dix sept minutes. Jim O'rourke au mixage, Steve Albini à l'enregistrement. Un orchestre complet derrière la harpe et la voix : des cordes, un marimba, une mandoline, des cuivres, un accordéon, et même un crâne de cheval utilisé comme percussion. Madame Newsom a donc tenté l'option « attention, ça va être différent ». De Pitchfork à Wire, tout le monde a hurlé au génie.
J’ai tout d’abord été de mauvaise foi : les arrangements symphoniques sont écoeurants, les chansons nulles, on croirait entendre la bande son du seigneur des anneaux, blablabla. Puis je me suis rendu à l’évidence : tout ça était très riche, très bien fait. Le problème était juste que ça ne m’émouvait pas du tout.
Je pensais naïvement être débarassé de Ys. Mais depuis avril dernier, j’ai dû subir la pression psychologique sournoise d’une amie déterminée à me convaincre que cet album est un chef d’œuvre.
Et ce soir, j’ai fini par voir la Lumière. Que la honte me recouvre d’avoir traité si négligemment ce disque. Certes, on perd un peu en efficacité immédiate, une dose plus importante d'attention est requise. Les compositions sont plus ambitieuses, s'éloignent de l'enchaînement pop couplet-refrain pour aller vers des opéras miniatures découpés en plusieurs mouvements. Mais c’est toujours aussi beau.
emily.mp3
Alors voilà, j'attend impatiemment la suite, en espérant que cette fois mes facultés de jugement seront un peu moins minables.
En attendant, on peut déjà écouter un morceau tiré de l'excellent maxi avec le Ys street band :
et aussi un inédit, joué sur scène depuis quelques mois :